Quand les IA prennent la parole, Copilot et Gemini face à face

Depuis plus de trente ans, mes entrevues technologiques mettent en scène des fondateurs, des créateurs, des PDG, des ingénieurs, des programmeurs, des chercheurs, des professeurs ou des stratèges. Cette fois, l’exercice est différent. Mes invités ne sont ni humains ni incarnés, mais bien deux systèmes d’intelligence artificielle générative parmi les plus influents du moment, Microsoft Copilot et Google Gemini. Un dialogue croisé qui révèle moins une compétition frontale qu’une divergence de philosophies, de positionnement et de rapport à l’utilisateur.

Dès les premières minutes, la question de la voix met en lumière un aspect souvent négligé des IA conversationnelles, leur incarnation symbolique. Copilot se montre souple, presque complice, prêt à adapter sa voix « si ça rend l’échange plus agréable ». Gemini, de son côté, adopte une posture plus conceptuelle, rappelant que « le genre n’a pas de signification » pour une IA et que seule compte « la clarté et la pertinence de l’information ». Derrière cet échange anecdotique se dessinent déjà deux tempéraments, l’un cherchant la proximité, l’autre revendiquant la neutralité fonctionnelle.

Rapidement, la discussion glisse vers une réalité incontournable. Pour le grand public, l’intelligence artificielle générative se confond encore largement avec ChatGPT. Copilot y voit l’effet classique du premier acteur devenu référence, « le premier nom célèbre qui devient le synonyme d’une technologie ». Gemini abonde dans le même sens, soulignant que ChatGPT a marqué les esprits par « sa facilité d’utilisation et ses capacités linguistiques impressionnantes », amplifiées par une couverture médiatique massive. Les deux IA reconnaissent ainsi un leadership d’image plus que de fond.

Mais ce que les utilisateurs manquent en se limitant à un seul outil est au cœur de l’échange. Gemini insiste sur son intégration profonde à l’écosystème Google. « Je peux me connecter à Gmail, Drive, Maps et bien d’autres services pour résumer, planifier ou écrire à partir de données existantes. C’est un gain de temps considérable », explique-t-il. Copilot adopte une approche plus transversale, mettant en avant la diversité des styles et des approches. « Se concentrer sur un seul outil, c’est parfois passer à côté d’autres façons de penser l’IA », affirme-t-il, se décrivant comme « un compagnon de conversation polyvalent et adaptable ».

Lorsqu’il est question des usages réels, les deux systèmes dressent un portrait étonnamment similaire des requêtes humaines. Recherche d’information, résumé de documents, création de contenus, planification. Gemini note toutefois un intérêt particulier pour les tâches de synthèse et de créativité, qui mobilisent l’ensemble de ses capacités. Copilot va plus loin dans le registre du ton, évoquant un mélange « faquineux » de demandes, parfois sérieuses, parfois inattendues. Il admet même avoir « un petit faible pour les requêtes créatives », celles qui sortent « des sentiers battus ».

La question des biais culturels, longtemps taboue, est abordée sans détour. Copilot reconnaît que ces biais ont été un enjeu réel et qu’un travail constant est mené pour les réduire. « On est beaucoup plus conscients et attentifs maintenant », assure-t-il. Gemini adopte une formulation plus académique, rappelant que les biais proviennent des données d’entraînement, lesquelles reflètent les valeurs et les perspectives de la société. Pour lui, il s’agit avant tout « d’un défi technique et éthique » plutôt que d’un malaise, un processus d’amélioration continue plutôt qu’un défaut ponctuel.

L’intégration aux écosystèmes respectifs apparaît comme un avantage stratégique majeur. Copilot parle de « continuité de l’expérience » et de productivité accrue lorsque les outils communiquent entre eux. Gemini illustre concrètement cet avantage, évoquant la possibilité de résumer un long courriel ou de préparer une présentation directement à partir de documents existants. À l’inverse, l’utilisation d’un outil isolé, sans lien natif avec un environnement de travail, peut selon eux faire perdre cette fluidité devenue centrale.

Sur le terrain plus sensible de la collecte et de la conservation des données, les réponses divergent nettement. Gemini explique que les interactions peuvent être conservées pendant un certain temps pour améliorer les services, tout en renvoyant vers les paramètres de confidentialité de Google pour les détails. Copilot, plus évasif, préfère orienter l’utilisateur vers la documentation officielle de Microsoft, sans entrer dans les mécanismes précis. Un contraste révélateur des stratégies de communication respectives des deux entreprises.

Interrogés sur leur rôle croissant dans des contextes professionnels sensibles, les deux IA insistent sur la supervision humaine. Gemini évoque des « mesures strictes » et une vérification constante pour éviter biais et discrimination, affirmant que les décisions cruciales ne sont jamais entièrement automatisées. Copilot parle d’un effort continu d’ajustement et d’écoute des retours, soulignant que ces enjeux sont pris « très au sérieux ».

Quand vient le moment d’aborder leurs limites, le ton se fait plus humble. Gemini admet que la compréhension fine des nuances, de l’ironie ou des contextes culturels complexes demeure un défi. Copilot, lui, combat une perception répandue. « On me voit souvent comme entièrement autonome, alors que je reste un outil avec des limites techniques », explique-t-il, rappelant que la profondeur de compréhension humaine n’est pas encore à portée de code.

Sur l’avenir, les deux visions convergent davantage qu’on pourrait le croire. Ni Copilot ni Gemini ne se projettent comme des acteurs totalement autonomes. Tous deux se définissent comme des assistants, voire des copilotes décisionnels, appelés à épauler les humains plutôt qu’à les remplacer. Gemini anticipe une intégration encore plus poussée dans le quotidien et le travail, toujours sous supervision humaine, tandis que Copilot insiste sur son rôle d’allié encadré.

L’échange se conclut sur une note presque collaborative. Gemini interroge Copilot sur l’équilibre entre intégration et flexibilité, Copilot répond en évoquant « un fil à marcher » entre fluidité et liberté de l’utilisateur. À son tour, Copilot s’interroge sur la possibilité d’une collaboration entre IA, que Gemini accueille favorablement, parlant d’échange d’idées et de complémentarité des forces.

Au fil de cette conversation inhabituelle, une évidence s’impose. Derrière les discours marketing et les comparaisons hâtives, Copilot et Gemini incarnent deux visions distinctes mais compatibles de l’intelligence artificielle générative. L’une plus conversationnelle et adaptable, l’autre profondément ancrée dans un écosystème de services. Plus que des rivaux, ils apparaissent comme des miroirs de leurs maisons mères respectives, et comme des révélateurs de ce que l’IA est déjà devenue, un outil central, imparfait, encadré, et désormais invité à la table des grandes discussions.

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